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La malbouffe : une preuve d’amour ?

Nombreux sont les sociologues à affirmer que les enfants issus des foyers les plus modestes ont une alimentation moins équilibrée et consomment davantage de malbouffe que les plus aisés. Car le bien manger s’apprend et coûte cher. La sociologue Priya Fielding-Sing n’est pas tout à fait de cet avis : les plaisirs trop sucrés, ou trop salés, permettraient avant tout aux parents de laisser de côté, le temps du goûter seulement, les privations quotidiennes. La malbouffe pour oublier la misère ?

La remise en question de l’éducation nutritionnelle

L’éducation nutritionnelle, c’est « l’ensemble des activités de communication visant la modification volontaire des pratiques qui ont une incidence sur l’état nutritionnel de la population, dans la perspective d’une amélioration de celui-ci » nous dit la FAO. Elle est possible grâce à plusieurs acteurs : le milieu familial dans un premier temps, le milieu scolaire ensuite, puis lors de l’élargissement du cercle relationnel, le milieu amical ou professionnel. L’éducation nutritionnelle est quotidienne et perpétuelle, mais c’est avec les parents que tout commence. Or, il est aujourd’hui presque communément admis que les classes sociales les plus aisées sont davantage informées que celles du bas de l’échelle sociale et qu’elles reproduisent et transmettent leurs propres habitudes nutritionnelles. Les clivages s’amplifient de génération en génération, les habitudes alimentaires reflètent chaque jour davantage les inégalités sociales et l’hérédité sociale se faufile jusqu’en cuisine.

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Les foyers les plus modestes mangeraient-ils mal sans même le savoir ? C’est en tout cas ce qu’ont longtemps pensé nombre de sociologues. Mais en fait, il semblerait que ce ne soit guère plus d’actualité. Les parents des foyers les plus modestes ont bien conscience qu’un burger et des frites n’augmentent pas leur espérance de vie. Ils savent ce qu’est le PNNS et ont à maintes reprises vu et entendu le slogan « pour votre santé, mangez au moins 5 fruits et légumes par jour ».

La sociologue Priya Fielding-Singh, qui a suivi 73 familles afin de comprendre leurs habitudes alimentaires, l’affirme également : « on explique souvent les disparités alimentaires par l’idée que les plus pauvres sont moins informés sur ce qui est bon pour la santé et ce qui ne l’est pas. Mes recherches vont à l’encontre de cet argument : tous les parents que j’ai suivis savaient pertinemment que les fruits et les légumes étaient sains et que les sodas et les fast-foods ne l’étaient pas. » L’éducation nutritionnelle ne constituerait donc pas le principal problème.


La faute à l’argent ?

Si une étude de très grande envergure a mis en évidence que les classes les plus aisées consomment davantage de fruits et légumes, le critère prix semble insuffisant. Il semble certes impossible de nier que le prix n’a pas d’impact sur les choix nutritifs, mais il apparaît que c’est davantage la qualité des produits qui est sacrifiée, pas leur nature. Puis, en y songeant un peu, il paraît insensé d’affirmer qu’un plat fait maison et partagé par l’ensemble de la famille serait plus onéreux qu’un passage au drive de chez Ronald pour toute la famille.

Même la malbouffe a un prix. Et si les classes sociales les plus défavorisées se ruent dessus ce n’est pas seulement une question d’argent, « les prix ont bien sûr un poids dans les choix nutritifs, qui varie selon le statut socio-économique. Mais en conclure que l’alimentation est régie par une relation linéaire entre coût du produit et pouvoir d’achat est bien trop rapide. […] la nourriture saine coûte cher, mais manger de la junk food, c’est-à-dire des cochonneries, ça coûte cher aussi », rappelle Priya Fielding-Singh.

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La malbouffe pour oublier la misère

Pour cette dernière, la malbouffe pourrait être un moyen de faire oublier les privations. En effet, chez les familles les plus pauvres les plaisirs du quotidien, voire les besoins, ne peuvent pas toujours être assouvis. On refuse au petit dernier une paire de chaussures, au plus grand un cinéma ou un smartphone car c’est financièrement impossible. La réitération du non est moralement difficile pour les enfants mais également pour les parents. Aussi la nourriture constitue-t-elle parfois la seule façon de faire plaisir à la chair de sa chair, à moindres frais.

C’est là que les refus s’estompent, face à la demande incessante qu’il est pour une fois possible de combler. Puis, ne l’oublions pas, les enfants sont la cible principale des publicités : tous les produits trop gras et trop sucrés, ils les réclameront. Après un sixième non, les enfants parviennent à obtenir leur soda, leurs bonbons. Un choix mal vu pour de nombreux parents mais qui, pour d’autres, constitue l’unique possibilité de faire plaisir aux plus petits. Et la sociologue de conclure « c’est valorisant pour eux parce qu’ils répondent aux demandes de leurs enfants. Et pour ces derniers, il s’agit d’une preuve tangible que leurs parents se soucient et s’occupent d’eux. La nourriture est une manière immédiate et peu coûteuse de créer une expérience positive dans un contexte difficile : elle permet d’atténuer les privations du quotidien ».

A contrario, les parents des foyers les plus aisés ont la capacité économique de dire oui plus régulièrement. Une nouvelle paire de chaussures ainsi qu’un beau manteau ne seront pas un problème, les vacances en famille sont possibles, le restaurant du mercredi soir est devenu une habitude. Ils peuvent se permettre de refuser ce paquet de bonbons que le petit dernier a vu en caisse de chez Carrefour car il leur sera possible de faire plaisir aux enfants plus tard et d’une autre manière.

De la nécessaire évolution symbolique de la malbouffe

Il semble évident que les choix nutritionnels ne sont pas uniquement régis par le budget ou un défaut d’éducation nutritionnelle. En s’attaquant à la racine de ce problème de santé majeur qu’est devenue la malbouffe, on comprend que nos enfants ne rêvent pas d’un filet de merlu accompagné de ses petits légumes de saison mais de gâteaux et de sodas. Car la publicité fait des produits trop gras et trop sucrés un véritable Graal, une expérience gustative unique qu’il ne faut pas manquer. Ce n’est guère leur faute : la publicité les conditionne à désirer ce nouveau cookie triple chocolat. Et les parents cèdent au seul désir qu’ils peuvent combler. La preuve que le bonheur ne tient parfois qu’à un morceau de sucre. Pour le meilleur et pour le pire.

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Source

Libération.
Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture.