Le lecteur plonge dans une atmosphère lourde, au beau milieu d’un hôpital, et découvre le quotidien et les méandres de l’âme d’un patient cloué à son lit d’hôpital. Un roman polyphonique où s’embrassent des pensées et se croisent des destins, soignants et soignés, piégés entre ces murs blancs. C’est le dernier bijou que signe Jérôme Lambert, Chambre Simple.
Dans une chambre d’hôpital
Julien souffre d’épilepsie. Un mal crescendo qui dirige son quotidien et ses incessants allers-retours à l’hôpital. Julien, qu’on connaît davantage comme « le patient », a fait une lourde chute, et se voit contraint de faire de cet hôpital sa résidence principale. La maladie est démythifiée et exposée au lecteur qui découvre les symptômes des crises d’épilepsie du héros, « le premier signe est un vacillement léger et euphorisant. Comme un shot d’alcool blanc avalé à jeun ou une grosse taffe d’herbe au réveil. » Puis vient la crise, et « les pulsations augmentent, plus longues, plus diffuses […] plus violentes et plus rapprochées. Plus aucun neurone n’est disponible. »
Des maux partagés
Mais le quotidien de Julien n’est pas uniquement celui d’un épileptique, mais de tout patient. Nul n’ignore qu’après une admission aux urgences « viendront l’enquête médicale, les investigations, les tests en série, examens, prélèvements, injections, câbles et électrodes, questionnaires à noircir, […] venir et revenir, être vidé, être rempli, ausculté, scanné, en slip, seul et grotesque sur les machines en métal glacées, allongé, debout dos droit, dos rond, fixer les diodes et retenir son souffle. » C’est là un véritable coup de maître de l’auteur qui, en choisissant de conserver l’anonymat du protagoniste, universalise son mal, pour que chaque malade puisse se reconnaître dans « l’allongé ».
Voir le monde allongé
Le patient est là, las d’attendre, de se soumettre sans cesses à de nouvelles analyses. Ses rêves le conduisent à un ailleurs, un éden auquel il semble devoir renoncer :
« Être allongé, c’est quelque chose tout de même. Personne n’en parle, personne ne dit le trauma. Impuissant et passif, voir le monde de son lit, à l’horizontale, perspective nulle, ligne de fuite zéro, écrasement total. Du plafond, l’angoisse prend tout son temps pour vous tomber dessus et vous mettre à sa merci. »
Le patient, entre anonymat et soumission
Dès son admission à l’hôpital, Julien n’est plus. Son identité est niée tant la dépersonnalisation est totale, brutale ; « l’hôpital retire tout. Les vêtements, les bijoux, l’envie, le rire, le sexe, tout fuit de minute en minute. » Son individualité se perd dès sa blouse enfilée, il fait désormais partie des allongés. L’hôpital est ce monstre qui aspire les âmes, ce cauchemar qui hante les nuits de patients en sursis, ce territoire étranger où vous n’êtes plus qu’un numéro, ce lieu où se concentrent les maux, peints par l’auteur avec une justesse déstabilisante.
Dès l’instant où le patient enfile cette blouse avec laquelle il ne fait plus qu’un, son destin ne lui appartient plus, il est entre les mains de la médecine, « s’il restait quoi que ce soit, quelque force, quelque velléité, tout fini recouvert sous la chimie des médicaments et le maillage étroit de l’asservissement. » Nous, lecteurs, oublions tout pour n’être plus qu’avec Julien, dans cette chambre aseptisée où les âmes passent sans laisser aucune trace. Nous devenons le patient.
Jérome Lambert, Chambre Simple, L’Iconoclaste, 2018, 200 pages, 18 €. Disponible sur le site de la Fnac.
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