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À quoi sert le cancer dans les séries TV ?

Il y a dix ans tout juste naissaient simultanément sur les écrans américains la série Breaking Bad, son héros Walter White et l’âge d’or des séries télé. Profitons de cet anniversaire pour poser une question incongrue : à quoi sert le cancer dans une série télévisée ?

Breaking Bad apportait la réponse à cette interrogation existentielle, apparemment fréquente chez les messieurs en pleine crise de la quarantaine : et si je plaquais tout pour une vie de seigneur du crime ?

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Poulet frit et psychopathes

Autant être prévenus. La réponse implique que vous vous retrouviez en slip au milieu du désert avec un macchabée dans votre mobil-home, que vous posiez des bombes sur les fauteuils roulants d’infirmes en maison de retraite ou que vous montiez des labos de méthédrine pour le compte d’un roi du poulet frit psychopathe. Insignifiants sacrifices en regard des tombereaux de pognon qui vous attendent.
Mais on oublie un peu vite que notre héros, Walter White, prof de chimie tragiquement inadapté au lycée minable d’un bled affligeant, ne s’est pas retrouvé embarqué dans ces péripéties par choix, ni même par hasard. C’était ça ou rien.

Mutuelle

Breaking Bad : un Cancer, l'Addition !
© Frank Ockenfels/AMC

Le ciel tombe sur la tête de Walter quand son médecin lui annonce qu’il a un cancer du poumon inopérable.
Walter et sa femme ont un fils handicapé. Et ils attendent sous peu la naissance de leur deuxième enfant. Walter ne peut pas laisser sa famille sans moyens de subsistance. Or il n’a pas de mutuelle – nous sommes aux USA. Alors, à mourir pour mourir, il va faire empereur de la drogue. Il n’a plus rien à perdre.


Walter est loin d’être le premier personnage de séries atteint d’un cancer. Là où il sort du lot, c’est par la façon dont la maladie affecte son existence.

Châtiment, Rédemption

Regardons comment d’autres que lui, personnages principaux de séries, ont géré, ou subi, la situation.

Lynette, Desperate Housewives
© ABC Studios

Il y a Izzie, dans Grey’s Anatomy. Plutôt que d’aller bêtement se faire diagnostiquer par les oncologues de l’hôpital où elle travaille, elle organise une sorte de Top Chef des internes en médecine, à qui posera le meilleur diagnostic. Puis elle arrête de faire n’importe quoi et épouse l’homme qu’elle aime.
Il y a Lynette, de Desperate Housewives. Son lymphome lui permet d’exhiber une épastouillante collection de foulards avant de se rapprocher de sa mère.
Il y a Cathy dans The Big C, qui dissimule son mélanome à sa famille. Elle sera tellement perturbée par sa maladie qu’elle changera complètement de personnalité et flanquera son mari à la porte.
La maladie de ces trois personnages les a rendus plus intéressants, plus divertissants, avant de les remettre sur le droit chemin.
Il existe d’autres voies. Celle qui consiste à rendre un personnage malade simplement pour pouvoir le sauver à la fin et terminer la saison sur une bonne nouvelle, comme le lieutenant Anita Van Buren dans New York Unité Spéciale. Celle qui joue à « ce qui ne te tue pas te rend plus fort » et change la frivole Samantha de Sex & the City en héroïne féministe.

La liste est longue mais le schéma reste le même. Pétage de plombs, châtiment, rédemption.
Jusqu’à Walter White.

Dark Vador, Marée Noire

Breaking Bad change la donne. Le châtiment n’a pas lieu d’être. Walter est bon mari, bon père, bon prof, bon beau-frère. Il n’a pas mérité ça. La rédemption, levier essentiel des scénarios américains, est écarté d’office : empereur de la drogue, assassin, mégalomane, Walter doit mourir. Quant à l’apitoiement du spectateur sur la maladie du personnage, sur lequel les auteurs savent pouvoir compter à coup sûr dans toutes les séries qui précèdent, il ne fera jamais partie de l’équation.

Breaking Bad : Un Cancer, l'Addition !
© Frank Ockenfels/AMC

Mais alors, qu’est-ce qu’il reste ?

Breaking Bad invente une nouvelle façon de brouiller les lignes. Le spectateur veut-il entrer en empathie avec ce pauvre Walter, si malade, si gentil ? Le voilà qui fabrique une drogue particulièrement immonde et révolvérise tout ce qui bouge.
Le spectateur, indigné par la noirceur nouvelle de ce personnage qui tient le milieu entre Dark Vador et une marée noire sur le lac de Genève, rejoint-il le camp d’en face ?
Les auteurs le rattrapent par un humour ravageur (comment se débarrasser d’une baignoire garnie d’un cadavre quand on est pressé et nul en chimie), un fond de valeurs morales inattaquables (il ne fait pas bon être néo-nazi dans cette série) et, plus souvent qu’à leur tour, des coups de génie scénaristiques. Comme cet épisode quasiment muet que l’on passera à regarder Walter chasser une mouche.

Citronnade ou Mojito

La différence entre Breaking Bad et les autres séries, c’est que le cancer ne détermine pas le personnage. Il détermine l’action, qui changera le personnage.
Et nous restons jusqu’au bout attaché à lui précisément parce que ce type bien n’a pas mérité sa terrible pathologie, précisément parce que son cancer est une colossale injustice. L’injustice de trop. Celle qui va le pousser à se venger de toutes les autres.

« Si la vie vous donne des citrons, faites-en de la citronnade », dit un proverbe américain. Walter en fait des mojitos. Par procuration, il venge tous les malades et tous ceux qui les accompagnent. Il est l’éclat de rire homérique et le doigt d’honneur que tant de victimes de la maladie auraient aimé pousser.
Il devient, pour le meilleur ou pour le pire, notre rédemption.

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