Un travail de recherche mené par deux équipes de l’Inserm révèle qu’une protéine pourrait jouer un rôle capital dans le déclenchement de l’inflammation et des symptômes de la maladie de Crohn. Décryptage.
AGR2 et Maladie de Crohn : une protéine en cause dans l’inflammation
La protéine AGR2 (Anterior-gradient 2) est davantage connue pour son implication dans le cancer. Elle agit au sein du réticulum endoplasmique (réseau membranaire où s’effectue notamment la synthèse de protéines, NDLR) pour contrôler la qualité des protéines synthétisées. Mais en situation de stress cellulaire (l’expression du stress au niveau de la cellule : productions d’hormones, réactions neuro-hormonales…), un déséquilibre conduit à la sécrétion de ladite protéine.
Une fois hors du milieu intracellulaire, la protéine agirait à la manière d’une chimiokine (famille de petites protéines) et attirerait des cellules immunitaires vers les zones de brèches de la paroi intestinale. Conséquence : « des processus immunitaires et inflammatoires responsables des symptômes, souvent sévères et invalidants liés à la maladie de Crohn« .
Éric Ogier-Denis (unité 1149 Inserm/CNRS/Université Paris-Diderot) et son équipe étudient de près les mécanismes cellulaires impliqués dans les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), notamment ceux de la protéine AGR2 : « la barrière épithéliale intestinale est le seul rempart entre le microbiote et le système immunitaire. Or en cas de stress chronique, le réticulum endoplasmique (RE) cesse d’y fonctionner normalement ce qui conduit à une inflammation intestinale. La perte de la protéine AGR2, qui joue un rôle clé dans le RE, est également associée à cette inflammation. Il restait à savoir si ces deux paramètres sont liés et impliqués dans la physiopathologie inflammatoire des maladies intestinales. »
Le rôle de la protéine AGR2 dans les troubles liés à la maladie de Crohn
L’équipe de recherche de l’Inserm
a décrit, dans un premier temps, les deux configurations de la protéine : monomérique (une unité) et dimérique (assemblage de 2 unités). Les proportions de ces dernières ont un rôle à jouer dans la régulation normale du réticulum endoplasmique dans les cellules épithéliales étudiées in vitro. Or, les recherches tendent à suggérer qu’un excès de la forme monomérique est associé à une sécrétion anormale de la protéine en milieu extracellulaire.
Des biopsies coliques ont ensuite été réalisées chez des personnes souffrant de la maladie de Crohn afin de vérifier l’existence « d’une altération de l’expression de certaines de ces protéines », liée à une « sécrétion pathologique extracellulaire d’AGR2. » La dernière étape en date de la recherche a visé à décrire, suite à des travaux menés sur des échantillons cellulaires, que « les cellules épithéliales sécrétant AGR2 présentaient des propriétés chimio-attractives vis-à-vis de certaines cellules immunitaires », notamment les monocytes (globules blancs capables de capturer, ingérer et détruire particules et microorganismes). Ces dernières semblent contribuer à « leur migration au niveau des zones de brèches de la barrière intestinale, initiatrice d’un mécanisme inflammatoire. »
Quelles perspectives pour le traitement de la maladie de Crohn ?
Deux axes se dégagent à l’issue de ces travaux. D’une part concernant le pronostic : « évaluer si le dosage d’AGR2 au niveau sanguin peut aider à évaluer la sévérité de la maladie et le sur-risque de cancer colorectal. »
D’autre part, une perspective concernant la thérapie : « un traitement plus spécifique, ciblant non plus les médiateurs immunitaires mais un élément à l’origine de leur activation, serait sans doute plus pertinent, plus spécifique et peut-être plus efficace. Nous développons un anticorps thérapeutique visant à neutraliser l’AGR2. Mais, étant donné le risque d’immunisation encouru à long terme par les personnes traitées par anticorps monoclonaux, d’autres approches sont intéressantes. Nous cherchons donc à identifier le récepteur cellulaire auquel se lie AGR2 au niveau des cellules immunitaires, afin de développer une petite molécule spécifique capable d’en bloquer l’accès. »
Deux perspectives à prendre en considération car, comme le souligne l’Inserm, « les médicaments actuellement disponibles sont insatisfaisants : ils ciblent essentiellement les médiateurs de l’inflammation responsables de ces manifestations, sans s’attaquer à la cause. Ils n’offrent pas toujours une rémission de la maladie et exposent à des risques au long cours. »
Sources
Toutes les citations de l’article proviennent du compte-rendu de l’Inserm, « Maladie de Crohn : identification d’une protéine initiatrice de l’inflammation« , publié le 09 juillet 2019.
L’étude : Maurel M et al., « Control of anterior GRadient 2 (AGR2) dimerization links endoplasmic reticulum proteostasis to inflammation. », EMBO Mol Med, (2019) 11: e10120.