De votre célèbre ouvrage Grande Cuisine Minceur en 1976 à la première Ecole de Formation en Cuisine et Pâtisserie de Santé® que vous ouvrez en 2013, c’est plus de 40 ans de recherche et d’expérimentations pour proposer une alternative à cette « désespérance alimentaire », c’est-à-dire cette cuisine fade et triste que s’infligent curistes et autres patients au régime.
LQDP : Peut-on affirmer que vous avez fait de cette philosophie alimentaire un combat presque malgré-vous ?
En fait, c’est tout à la fois ! J’ai toujours été attiré par la pratique de la médecine. J’aurais aimé être médecin… Mais je suis très content d’être devenu, d’abord pâtissier, puis cuisinier !
En vérité, deux rencontres furent véritablement déterminantes dans mon parcours : Jean Delaveyne et ma future épouse.
Après mon apprentissage, Jean Delaveyne, un très grand chef, (le pionnier de la Nouvelle cuisine, NDLR), mon mentor, m’a mis entre les mains l’ouvrage du Professeur Jean Trémolières La Diététique, un art de vivre. Une révélation ! Ou plus exactement, une confirmation. Ses travaux sur la nutrition « engagée », toujours d’actualité d’ailleurs, – C’est un grand scientifique que la deuxième guerre mondiale a empêché de finir ses études de médecine – m’ont passionné et confirmé mes intuitions.
Ma rencontre avec ma future épouse a fait le reste. (Jeune diplômée d’HEC, héritière de la Chaîne thermale du Soleil, elle demande à son père la direction de la station d’Eugénie-les-bains. NDLR) En 1974, nous nous installons aux Prés d’Eugénie. Et, effectivement, c’est tout naturellement que je me suis intéressé à la cuisine des curistes. C’était une évidence pour moi.
Parallèlement, les mauvais chiffres des maladies chroniques augmentent. Ceux du diabète, par exemple, sont sans appel : les personnes atteintes de diabète dans le monde sont passées de 108 à 422 millions de 1980 à 2014.
LQDP : N’est-ce-pas désespérant ?
C’est désespérant. Mais on ne peut pas rester sans rien faire tout en désignant l’industrie agro-alimentaire comme seule responsable. Je pense qu’il faudrait associer aux grands principes nutritionnels (« Mangez 5 fruits et légumes par jour » par exemple) des messages à caractères économiques, probablement plus convaincants du type : « Mangez mieux et vous ferez des économies ! »
Par ailleurs, je déplore vivement que le diplôme de cuisinier ne contienne aucune notion de diététique. C’est aberrant !
En fait, c’est un vaste problème d’éducation… et de pédagogie.
Votre Ecole de Formation en Cuisine et Pâtisserie de Santé s’adresse aux professionnels. Je crois que certains ont vraiment eu une révélation en suivant les cours dirigés par Stéphane Mack (cuisine française revisitée, sauces et bouillons allégés…)
LQDP : Ne faudrait-il pas, aujourd’hui, s’adresser aussi directement aux plus jeunes et enseigner votre Cuisine de Santé® dès l’école primaire ?
Ce serait formidable ! Mais c’est délicat « d’empiéter » sur le territoire de la nourriture, de l’alimentation et de la transmission, souvent réservé à la maman. Encore l’éducation !
Et, tout comme les cuisiniers n’apprennent pas la diététique, les futurs médecins n’ont aucune notion de cuisine. On aboutit à des dialogues de sourds !
Nous avons beaucoup travaillé pour mettre en place notre école de formation à la cuisine de Santé®. Avec des professionnels de santé, des chefs cuisiniers et des politiques. Mais c’est lorsque j’ai expliqué que le sujet n’était pas le nombre de calories du foie gras mais le choix de sa cuisson (à la vapeur par exemple) que les différents intervenants ont pris la mesure de l’impact d’une cuisine de Santé auprès des professionnels. Il y avait tout à faire !
Tout l’enjeu de notre école de formation réside dans le fait que les soignants aient des notions de cuisine et les chefs de diététique.
(La cuisine de Santé révolutionne les bases et les assaisonnements (sauces, bouillons, vinaigrette, liaisons) et propose ainsi l’apprentissage d’une cuisine et une pâtisserie de Santé. Entre 2008 et 2009, Eugénie-les-Bains a réalisé une étude pilote conduite par l’Université de Bordeaux II qui visait à mesurer l’amélioration du syndrome métabolique, à un an, prenant en compte soins thermaux, cuisine de Santé, éducation alimentaire et activités physiques. Les conclusions de cette étude sont très positives : 75% des patients voyaient encore, un an plus tard, une régression significative de leur syndrome métabolique. NDLR)
LQDP : Comment expliquez-vous que cela ne soit pas encore le cas ? Pourquoi aujourd’hui, l’enseignement de la cuisine se fait aux seuls adolescents en surpoids lors de cure ou de stage spécialisés ?
C’est vrai. Pourtant, il n’est pas certain que l’école soit le lieu idéal pour expliquer aux enfants ce qu’il est bon de manger… chez eux ! En revanche, il est sûr que les cantines scolaires ont un rôle essentiel à jouer dans la prévention et l’éducation du goût.
LQDP : En ce début d’année, même si le temps des vœux est révolu, quel message adressez-vous aux pouvoirs publics ?
Qu’il est temps de prendre conscience, par exemple, que 15% de la population française est en surpoids ! Nous devons, à tous les niveaux, œuvrer pour contrer ce fléau. Je pense à Thierry Delalande, le Chef de l’Assemblée Nationale. Il est venu plusieurs fois en stage à l’école. Au moins, aujourd’hui, les députés mangent sains et équilibrés !
Plus sérieusement, des plus jeunes aux plus âgés – savez-vous que 60% des malades sont dénutris en milieu hospitalier -, nous devons agir vite et maintenant.
Monsieur Guérard, un grand merci pour nous avoir accordé le temps de cet entretien.